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Une fois qu’on s’est tout dit


Libération • 21 février 2002

La chanteuse revient sur Le devant de la scène

L’échappée belle de Michèle

On la dit discrète, faut dire qu’elle n’a pas vraiment le choix. Depuis ce départ fulgurant, en 1978, où on la sacra "découverte de l’année" au Printemps de Bourges, les projecteurs du show-biz ne sont plus braqués sur Michèle Bernard. Elle s’en fiche, on le déplore. Parce que la copine de Ferré, l’amoureuse de Louise Michel, la frangine des grandes dames de la chanson (Fréhel, Damia ou Piaf), comme ses comparses amoureux des sarabandes, fait du bien. Surtout quand elle invite chacun d’entre nous à graver dans nos têtes de linotte quelques notes, un petit refrain pour aller bien. Dommage que les ondes des radios et les plateaux guimauve des télés nous privent de cette voix, de ces textes tantôt rageurs, tantôt tendres et enfantins. Qu’importe : cette artiste a monté des spectacles de théâtre chanté, joué dans des comédies musicales pour enfants, composé et enregistré des albums, promené son accordéon vingt-cinq ans durant sur les routes de la chanson française.

Dans son dernier spectacle, Une fois qu’on s’est tout dit, Michèle Bernard s’est entourée de trois excellents musiciens : Jean-François Baëz à l’accordéon, Pascal Berne à la contrebasse et Bruno Sansalone aux clarinettes. Sa voix claire, mélodieuse, monte en force pour dénoncer les "usines à chagrin", tournoie pour célébrer les amours de fête foraine ou boude comme une gamine capricieuse. Une fois qu’elle a tout dit et qu’on a les yeux bien rougis, il ne reste plus qu’à aller boire des coups.

L.N.

Le Monde • 12 février 2002

Les chemins de traverse de Michèle Bernard

Avec ses mots cinglants et ses mots velours, avec ses grands yeux bleus de petite fille et son culot de femme épanouie, Michèle Bernard, la Lyonnaise, revient à Paris pour un nouveau récital. Ses chansons toutes neuves disent l’amour et le chagrin, les verres bus à la santé de la tendresse ou l’assassinat d’un couple serbo-musulman sur un pont à Sarajevo.

Depuis une vingtaine d’années, Michèle Bernard creuse un chemin à part dans la chanson française. "Chanter avec mon accordéon au coin d’une rue ou avec un grand orchestre, les deux me touchent. " Au fil des ans, elle peaufine une écriture délicate, passée de la chanson plutôt engagée à une poésie libre. " Dans une année, je n’écris peut-être que quelques semaines. Mais j’y pense tous les jours. Comme un hamster, je stocke ce qui m’émeut. Je note tout sur un carnet et, au moment d’écrire, toutes ces impressions, toutes ces anecdotes ressurgissent. "

Chaque mot, chaque note de cette auteur-compositrice sont à présent épurés. "J’ai moins peur de la douceur et du silence. Je me sens moins comme un bazooka. " Michèle Bernard cogne toujours contre la banalité, contre la violence de l’actualité, contre le racisme. Mais la tendresse s’épanouit, laissant sa place au jeu avec le public, au plaisir du chant. "J’ai commencé par faire du théâtre, puis j’ai découvert ma voix chantée. J’ai éprouvé alors la magie du chant. J’ai ressenti une forme de délivrance : les inhibitions tombaient. On parle pour régler des problèmes, mais on chante pour le plaisir. "

Michèle Bernard s’est construit un refuge dans un curieux village à une heure de Lyon, au cœur des monts de la Haute-Loire. " Son nom, Saint-Julien-Molin-Molette, m’a toujours fait rêver. En pleine campagne, c’est un village d’anciennes usines. Je vis dans une ancienne fabrique textile. Pour moi qui suis très sensible à la chanson populaire, au thème du travail ouvrier et des luttes, c’est un lieu qui m’inspire. J’y ai aménagé ma tanière. " Avec son association Musique à l’usine, l’artiste y organise un festival et quelques ateliers pour aider de jeunes chanteurs à approfondir leur recherche des mots et de la musique.

Ces dernières années, Michèle Bernard a composé des musiques pour des chœurs contemporains, des ensembles instrumentaux ou des polyphonies de voix de femmes. Avec son nouveau spectacle Une fois qu’on s’est tout dit (CD édité par EPM), elle revient à la simplicité du récital, accompagnée de trois musiciens et de son propre accordéon. Elle ramène des chansons imaginées lors d’une résidence au Togo et des paroles écrites en rêvant devant les grues du port de Saint-Nazaire ou en se moquant de la nouvelle manie du téléphone portable - "ce qu’il faut, c’est communiquer, nous voilà tous ombiliqués". Sa ballade aux morts de Sarajevo fait ressurgir la violence de cette guerre presque oubliée.

A l’occasion de son retour à Paris, la chanteuse réédite un double CD de ses anciennes chansons (Mes premiers vinyles, chez EPM). On y retrouve intacts sa tendresse, ses cris, son rire et son regard précieux sur notre planète cabossée.

Catherine Bédarida

Chorus

Une fois qu’on s’est tout dit

Deux ans tout juste après le magique esprit world-chanson de Voler [Coeur Chorus 27, p. 33], Michèle Bernard nous offre un autre voyage où la chanteuse se souvient qu’elle a été comédienne. L’écriture musicale y suggère un symbolisme à mi-chemin de la ritournelle poétique et du théâtre, certains titres figurant les éléments d’un tout, en tout cas d’une progression. L’ensemble évolue ainsi entre deux parenthèses en jeu de miroir : " Vieille terre " (le théâtre de la vie) et " Le petit théâtre " (la vie d’un théâtre) qui se termine sur ces vers : " Au milieu des guerres /Ne jamais se taire / Crier la vie et adieu... "
Au souffle déchiré bien plus que festif d’un accordéon multiple (Jean-François Baez), l’amour reste contre toutes les " usines à chagrins ", tous les " ponts suspendus " mortifères, la seule raison d’espérer. Qu’on ne s’y fourvoie pas, l’amour (de l’autre comme des autres, du Ténéré à Sarajevo) n’est pas chez Michèle Bernard un " bon sentiment " : c’est bien un acte vital, un sens à l’existence, un moteur pour l’urgence de la lutte. Deux chansons sont d’ailleurs dédiées à l’emblématique Louise Michel.
Et puis, on retrouve -à côté des superbes " Petits cailloux " des débuts (en 1978, sur Le Kiosque, son premier album original) - des chansons à mélodies plus évidentes (" Lola et tout ce qui s’ensuit ", " Viens ", " Dans une tête de linotte "), des coups de patte tendres (" Biscotte ") ou bien caustiques (" Tout tout d’suite "), bref tout ce qu’on aime chez la chanteuse.
D’autant que Pascal Berne, le contrebassiste, a réalisé des arrangements de fine facture en compagnie de nombreux musiciens de l’Orchestre Lyonnais ainsi que d’un ensemble de chant contemporain.

Daniel Pantchenko

Télérama Paris • 13 au 19 février

On pourrait vous dire la rondeur des mélodies, l’élan simple et sincère des textes, la chaleur du regard, la finesse des musiciens, l’ingéniosité de la mise en scène. Mais c’est la voix, d’abord, qu’on a envie de raconter. Cette voix claire et fluide, porteuse d’émotions, qui résonne depuis 25 ans dans toutes les salles qui défendent l’intelligence de la parole. La voix de Michèle Bernard, si riche d’expressions et de suggestions, sait ce que les crieurs de variétés ont oublié depuis longtemps : le plein et le délié, l’ombre et la lumière, la force et la fragilité.

De quoi nous combler l’oreille et le coeur d’un doux réconfort, en nous murmurant qu’il est urgent d’aimer, qu’on peut encore rêver de fraternité sur la terre des hommes. Naïveté ? Sans doute, mais on se plaît à y croire, ne serait-ce que le temps d’un récital. Le voyage, commencé à la fin des années 70, ponctué de deux prix Charles Gros, est toujours guidé par la même intégrité. D’ailleurs, les anciennes chansons ressorties des malles pour l’occasion prennent parfaitement leur place entre les nouvelles, signe de la totale cohérence d’une œuvre trop méconnue.

V. L.

Politis • 14 février 2002

Michèle Bernard dit tout
En disque et en concert, la chroniqueuse du quotidien séduit par sa lucidité et sa générosité.

QUAND LA POURSUITE S’ALLUME, elle est déjà là, souriante et résolue. Généreuse, Michèle Bernard promène sur le monde, sur nous et sur elle-même un regard de femme lucide mais jamais cynique. La musique, tour à tour, s’inspire de la valse-musette, de la biguine, du cabaret allemand, de la complainte réaliste ou des danses des Roms ; les accordéons, le sien et celui de Jean-François Baez, et les clarinettes de Bruno San-salone s’y répondent. Les mots sont poésie et chronique du quotidien, colère et parfois joie. L’amour qui console - quand il ne s’est pas " un instant absenté "- et le monde qui nous affole. De temps à autre, elle s’octroie le plaisir de chanter d’autres auteurs (ici, Jean Richepin et Germain Nouveau).

Mais, nullement à court d’inspiration, dans ce tour de chant et ce CD, Une fois qu’on s’est tout dit, elle dépeint notre belle civilisation, avec son culte de la performance scientifique (" Tout, tout de suite "), sa production d’inutile (" l’Usine à chagrins ") et ses crimes (les deux amoureux de Sarajevo abattus sur le " Pont suspendu "). Après un plaidoyer pour la mémoire populaire (" Dans une tête de linotte "), la voilà qui évoque le souvenir de Louise Michel (" Au cimetière de Levallois "). Celle-ci est l’héroïne d’une cantate, l’Oiseau Noir du Champ Fauve, créée en 2001 à Oullins, qui sera reprise au théâtre Toursky de Marseille. Sachez, enfin, que les quatre premiers 33 tours de Michèle Bernard sont réédités en un double CD, occasion de constater qu’ils ont gardé toute leur force. C’est peut-être pour cela qu’on les entend si peu sur nos ondes nationales ?

JACQUES VASSAL

Accordéon et accordéonistes

L’accordéon poétique de Michèle Bernard (critique + entretien)
Le nouvel album de Michèle Bernard renferme des "violences poétiques" qui donnent tour à tour envie de hurler, rire, pleurer, se rebeller et même se recueillir. On ne peut qu’être envoûté par la beauté des textes de cette artiste présente sur la scène française depuis plus de vingt-cinq ans et qui n’a pas eu la reconnaissance qu’elle mérite. Que dire de Vieille terre, dénonciation passionnée des injustices du monde servie par l’accordéon sensible et brutal de Jean-François Baez ?

Dans L’usine à chagrins, elle nous replonge dans l’atmosphère de la chanson réaliste, une époque où l’accordéon et la chanson évoquaient la vie des ouvriers et des sans-grades. Tout en ironie jazzy, tout tout d’suite raille la vanité de la course frénétique et dérisoire de l’homme. Avec un accordéon éraillé, crissant, émouvant et exotique, le port de Saint-Nazaire abrite des souvenirs de sable et d’oiseaux. Dans Viens, Michèle Bernard prend des accents de Jacques Brel et Jean-François Baez nous entraîne dans un tango effréné où le soufflet halète et se cabre dans cet hymne au rêve et à la liberté. Il y a aussi les invitations à la valse comme dans Une tête de linotte, une dénonciation de la télévision mangeuse de rêves et d’imaginaires.

Dans la berceuse kanak Sous les niaoulis (un hommage à Louise Michel), notre instrument flirte avec les percussions et les chœurs de toute beauté de l’ensemble Résonance Contemporaine. Un dernier mot sur Bruno Sansalone et Pascal Berne, contrebassiste et directeur musical, dont la réelle complicité sert à merveille la voix magnifique et poignante de Michèle Bernard.

S.C.

Esprit frondeur et accordéon en bandoulière, Michèle Bernard combine son amour du piano à bretelles et du verbe. Chanteuse, compositrice, poète et musicienne, elle a rempli le Kiron Espace à Paris en février et vient de sortir son dixième album, "Une fois qu’on s’est tout dit" (chez EPM).

Vous avez été découverte au Printemps de Bourges en 1978 et avez obtenu deux fois le prix de l’Académie Charles Cros. Qu’est-ce qui vous a amené à la chanson ?

J’avais une grande sœur qui adorait Georges Brassens, Yves Montand, Juliette Gréco, la rive gauche. Mon frère, lui, écoutait beaucoup de soul music, de negro spirituals. J’ai réalisé un mix de tout cela.

Vous vous reconnaissez une filiation avec les chanteuses réalistes comme Fréhel et Piaf, tout en prenant vos distances. Vous les chantez d’ailleurs avec beaucoup de tendresse...

À mes débuts, on m’a très vite collé l’étiquette de "chanteuse réaliste", sans doute à cause de l’accordéon. Ça m’a fait beaucoup d’honneur mais aussi beaucoup énervé. Je ne trimballe pas les mêmes choses qu’elles. Je suis moins fataliste, je possède une écriture plus poétique. Ce que je leur envie, c’est leur implication "tripale".

La poésie est essentielle dans votre création. Vous reprenez Bruant, Vaillant-Couturier, Maïakovski, les Chrétiens de Troyes...

Je me sens proche de Brassens à cet égard. Il a commencé par lire les poètes et les mettre en musique avant de se forger sa propre écriture de chanteur. Quand je me trouve dans une phase d’écriture, je me rends dans les farfouilles, qui souvent déclenchent en moi de l’inspiration.

Quand vous chantez, on a l’impression d’entendre le soufflet de l’accordéon...

Au fil des ans, une relation intime entre la voix et la respiration se crée, entre ces deux respirations. Je puise l’énergie dans le soufflet, et ma voix balance de l’énergie dans le soufflet, comme une espèce d’aller-retour.

En 1987, dans l’album "Pleurez pas", vous écrivez deux titres : "Je voulais pas faire de piano" et "L’accordéon". Que racontent-ils ?

Après mai 1968, j’ai quitté ma famille et les lourdeur de la société pour aller jouer dans la rue. J’accompagnais de jeunes auteurs-compositeurs qui faisaient la manche. L’accordéon c’était l’instrument de la libération et de la rue, il est lié à l’histoire sociale de Paris. Par ce biais-là, j’ai découvert la chanson française : Mac Orlan, Léonardi, Monique Morelli. Dans ce texte,, je disais : "C’est pas à la mode, l’instrument du populo, le petit bal musette / Mais moi, je m’en fiche, je vais mon petit bonhomme de tempo." Le piano, lui, symbolisait la petite bourgeoisie, tout ce que je rejetais à l’époque.

Dans votre spectacle au Kiron Espace, vous mettez l’accordéon en scène. Il est plus qu’un simple instrument. Il parle et s’esclaffe. D’où vous est venue cette idée ?

Cet instrument fait rêver par sa forme. Visuellement, il est magnifique : le soufflet qui s’ouvre puis se referme, les doigts qui se baladent dessus, les boutons de nacre. Il s’agit d’un très bel objet. Sans oublier tout ce que l’on peut faire avec.

Vous formez un duo très complice avec Jean-François Baez qui, lui, pratique le modèle touches boutons.

Moi, je joue simplement. Lui fait fleurir l’instrument. Et puis il y a la relation entre la voix et l’accordéon ainsi que le rapport magnifique qu’il cultive avec son instrument.

Vous donnez aussi une place importante aux instruments à vent. Pourquoi ?

J’apprécie la musique de rue, et l’esprit des fanfares me plaît. J’aimerais qu’à la fin du spectacle, on parte tous en jouant : les cuivres, l’accordéon. Encore ce vieux fantasme de prendre la route !

Quel modèle utilisez-vous ?

Un Piermaria très tonique, qui rythme bien le texte. J’ai le sentiment que le son de ma voix et celui de l’accordéon sont en harmonie. Avec lui, je joue de la valse musette que j’adore et tout ce qui m’inspire : tango, jazz, swing, musiques du monde. Il est important de désenclaver la chanson à textes.

En 1994, vous avez organisé une journée d’accordéon dans votre village. Comment cela s’est-il passé ?

J’habite à Saint-Julien-Molin-Molette, un village dans le parc du Pilât au sud de Lyon. Le fait que j’utilise l’accordéon m’a permis d’être adoptée par les habitants. J’ai eu envie de leur faire découvrir d’autres aspects de celui-ci. On a invité Jeannot Perret qui a amené sa formidable collection, Daniel Denécheau. Daniel Mille, Ricardo Tesi. Cela s’est terminé comme il se doit : par un bal.

En quoi consiste Musiques à l’Usine, le collectif d’artistes dont vous faites partie à Saint-Julien ?

Nous organisons des stages de formation à la chanson. Nous souhaitons faire se rencontrer le public amateur et le public professionnel. Nous avons invité Gérard Blanchard, Pierre Vassiliu... On travaille l’interprétation, la mise en scène, l’écriture, le chant polyphonique.

Vous composez beaucoup pour vous-même mais aussi pour le théâtre et la télévision. Vous arrive-t-il de trouver des idées en pratiquant l’instrument à bretelles ?

Ça m’arrive mais, très honnêtement, c’est plus au piano que j’en cherche. Souvent, je cherche au piano et ensuite et à l’accordéon.

Vos projets ?

Un spectacle autour de Louise Michel que j’ai monté avec sept chanteuses, un ensemble de percussionnistes handicapés mentaux, plus trois musiciens dont Jean-François Baez. Nous le présenterons à Marseille en décembre 2002.

Propos recueillis par Sylvie Clerfeuille

aden - du 30 janvier au 5 février 2002

MICHÈLE BERNARD du 1er au 23 février à l’espace Kiron

On est à mille lieues, ici, des Jenifer avec un seul n, Coralie ou Marjorie que la télé a portées bien rapidement sur les chemins de la gloire. Du haut de ses trois pommes, avec ou sans son fidèle accordéon, Michèle Bernard s’apparente plus à un ravissement inattendu, une douceur bienfaisante, un regard lumineux sur l’être humain. Comment ne pas craquer devant sa bouille d’enfant, ses mots poètes sans prétention, sa belle voix ample ?

La Croix • 8 février 2002

Les combats de Michèle Bernard
A l’occasion de la sortie simultanée d’un nouvel album et d’un recueil de ses premiers vinyls, la discrète Michèle Bernard se produit sur une scène parisienne.

On ne l’a jamais vue sur le plateau de feu " Taratata ", encore moins dans les émissions de variétés de TF1. On l’entend rarement à la radio, même sur les antennes de Radio France. Michèle Bernard n’a jamais accédé aux trompettes de la renommée, ne s’en plaint pas, mais admet une légère " blessure ", quand, après vingt-cinq ans de carrière et la reconnaissance de ses pairs, elle se " retrouve parfois en situation de débutante ", face à des gens qui voient en elle une nouvelle venue dans la chanson. Et pourtant la voilà sur scène, ce miroir qui ne trompe jamais.

Assise sur un banc, le dos tourné, Michèle Bernard attaque son récital d’une voix agile, mature. Puis elle se retourne, adresse un regard à Jean-François Baez, accordéoniste magistral, un autre à Bruno Sansalone (clarinette) et à Pascal Berne (contrebasse). Première pierre de son récital, Les Petits cailloux, une rêverie allongée, peuplée par la colère, la lassitude et espérance, écrite pour son premier album, et reprise dans son dernier disque, Une fois qu’on s’est dit. Un clin d’œil, un " petit côté bilan ", pour sa longue escale parisienne. Le bilan d’une carrière dévouée à la chanson, à " ce carrefour humain très important " où se prisent idées sociales et révélations de l’intime. Avec Michèle Bernard, la chanson n’est pas qu’une ritournelle, mais un moyen d’expression exigeant. Elle même, malgré quelques réticences, s’affiche " chanteuse à texte ". Comme un héritage.

Une ancienne étudiante en lettres, animée par l’esprit de mai 68

Michèle Bernard fait partie de cette génération marquée à jamais par mai 1968. Elle avait 20 ans. Etudiante en lettres, elle monte sur les barricades et rejoint une bande de " gratte-guitares ". Elle délaisse le piano familial pour adopter l’accordéon, " un instrument à claviers qui y ressemblait mais qui me permettait d’aller dans la rue. C’était assez symbolique ". La suite est l’histoire ordinaire d’une " saltimbanque " dans l’âme : elle fait la manche dans les restaurants lyonnais, s’adonne au théâtre, monte des spectacles pour enfants. Mais la passion de la chanson finit par l’emporter sur tout le reste, elle qui fut bercée par Brassens, Nougaro, Brel, Ferré et Anne Sylvestre - coproductrice de ses trois derniers albums - s’inscrit dans ces " années très militantes ", aux côtés de François Béranger, Catherine Ribeiro, et " Maxime Le Forestier de la première époque ".

En 1978, devenue auteur compositrice interprète, Michèle Bernard est programmée lors du Printemps de Bourges naissant. Elle y chante ses chansons coups de poing ou amusées. Sous le charme de cette petite brune gavée d’énergie, le " patron " du festival, Daniel Colling, lui fait enregistrer un album. Passés les premiers succès, déjà elle songe à la discrétion. En 1980, la chanteuse emménage dans une ancienne usine textile, dans un village du parc du Pilât (Loire), avec pour voisins des écrivains, des peintres et des photographes... Pendant une dizaine d’années, elle tourne en région, avant d’être soutenue par des scènes nationales. Celle de Saint-Nazaire produit son dernier récital. En 1995, elle monte avec ses amis l’association "Musiques à l’usine ", qui organise des festivités estivales autour de la chanson française.

" La Jeune révolutionnaire, je l’ai toujours en moi "

Même si le message s’adoucit au fil des années, Michèle Bernard n’oublie pas qui elle est :" La jeune révolutionnaire, je l’ai toujours en moi ". Même si elle ne chante plus ce " Monsieur qui s’engraisse du cou, de la fesse et du porte-monnaie ", elle conserve ses marottes, ses combats. Pour la communarde Louise Michel, dont elle admire le parcours depuis plusieurs années. Pour l’amour, celui "de l’humain ". Enfin pour la chanson, car, si elle ne devait se croire qu’un devoir, ce serait de nous exhorter à apprendre une chanson par cœur, comme elle le professe dans Tête de linotte : " Rien qu’une chanson qui t’fait du bien/Mais tout entière, couplet refrain... "

Benévent TOSSERI

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